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… car dessus et dessous désignent une position spatiale, et que ce qui était dessus est maintenant dessous 🙄 ou vice et versa 😆
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Entre la pointe du Raz et la pointe du Van.
La légende de la Baie des Trépassés
« Debout sur l’étrave du Raz de Sein, quand on regarde le Bec du Van, vers le nord, on voit la mer pousser des rouleaux puissants sur une grève entre les deux caps. C’est la grève des Trépassés, «l’abominable baie», un des lieux de rendez-vous des noyés qui attendent l’embarquement pour leur séjour de l’autre monde. Et pourtant, les pêcheurs de Cléden en parlent seulement comme «de la grève du Nord-Ouest».
On n’y trouve pas d’ossements humains parmi les galets. Les courants n’y portent pas plus de cadavres qu’ailleurs. Certains jours, la mer y est si douce et le soleil si beau que la méditation de la mort y semblerait une offense.
Mais le peuple invisible des Trépassés se presse dans cette baie et sur ses rivages. Dans les eaux de la baie, il y a des noyés de toute sorte. Il y a les plus beaux marins du monde et les plus courageux, ceux que la Morgane a choisis pour époux. Mais le destin de la Morgane veut que son baiser tue ses amants et qu’elle n’étreigne jamais que des cadavres. Ils dérivent dans les courants et pas un seul poisson n’oserait les profaner.
D’autres noyés chrétiens se sont livrés eux‑mêmes à la Morgane païenne. Ceux‑là vont errer jusqu’à la fin du monde, la marque de leur baptême au front. C’est en vain que les pêcheurs vivants qui les rencontrent voudront les ramener dans leur barque, par pitié. Les damnés leur glisseront des mains. De la Barque des Morts, ils ne verront que la quille.
Au bord de la Baie des Trépassés attendent aussi les âmes de ceux dont la mer a rejeté les cadavres. La plupart sont d’honnêtes marins, en paix avec Dieu et avec les hommes. A cause de cette innocence, ils ont eu assez de pouvoir sur les vagues pour que celles-ci les ramènent à la côte où ils seront ensevelis en terre bénite. Mais quelques-uns, coupables de fautes inexpiables, ont vu leurs corps vomis par la mer elle‑même, qui n’a pas voulu en être souillée. De ceux-là non plus, la Barque des Morts ne voudra pas se charger.
Depuis que le monde existe, la Barque des Morts se présente à la Baie des Trépassés, certaines nuits. Une voix puissante s’élève sur le Bec du Van ou le Bec du Raz, appelant un pêcheur par son nom. L’homme ne s’étonne pas. Il sait que, depuis toujours, ses ancêtres ont passé les morts et que, pour cet office, ils étaient affranchis de toute redevance envers leurs seigneurs de la terre.
Il descend vers la baie du Nord-Ouest. Une longue chaloupe y est à flot. Elle paraît vide et pourtant elle s’enfonce dans l’eau jusqu’au bordage, comme si elle était chargée à couler bas. Dans une grande rumeur de supplications, le pêcheur se fraie un passage à travers les rangs pressés d’une foule invisible. Quand il a pris sa place au gouvernail, une voile se largue d’elle-même et la Barque des Morts s’éloigne de la grève. Derrière elle, éclatent les sanglots des âmes qui ne sont pas du voyage. Le pêcheur la manœuvre à travers les brisants et la mène vers Sein. Dès qu’elle a touché l’île, il la sent qui s’allège et remonte sur l’eau à mesure que débarquent les invisibles passagers. Alors, il peut remettre le cap sur la grande terre. Quand il est entré dans la baie vide et silencieuse, la barque n’est déjà plus qu’une ombre, quand il a posé un pied sur le sable, elle a disparu.
A qui demandera si la Barque des Morts aborde toujours à la Baie des Trépassés, aucune voix n’osera répondre. Aucun pêcheur du Cap-Sizun n’a jamais avoué qu’il avait fait le passage. Celui qui est choisi pour cet office vit désormais en étranger parmi ses frères en attendant qu’il devienne l’Ankou marin. »
Pierre Jackez Hélias.
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